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SUFFRAGE UNIVERSEL
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dbfGooglc
SUFFRAGE UNIVERSEL
MANIÈRE DE VOTER
H. TAINE
PARIS
LIBRAIRIE HACHETTE ET C-
1872
DtqUi ie propriËU et de troductlDD râKrTÎ
cjbïGoogIc
.Ciioslc
Parmi les lois que va faire l'Assemblée natio-
nale, l'une des premières et la plus importante
est certainement celle qui concerne les élections .
Comment seront nommés les députés de l'Assem-
blée future ? — Sur cette question capitale, il
est utile que l'opinion publique prévienne la dé-
cision de la Chambre; nous devons nous enqué-
rir au préalable, examiner, discuter, sortir de
l'attente inerte et vague ; il faut que chaque par-
ticulier tâche d'avoir un avis. C'est pour cela que
je me hasarde à présenter le mien, afin d'en pro-
voquer d'autres.
c..,Googk-
dbf Google
11 est très-probable que le suffrage universel
sera maintenu. — Sans doute, nous n'en avons
pas fait trop bon usage ; nos gouvernements l'ont
manié comme un cheval robuste et aveugle ; se-
lon le cOté où on le tirait, il a donné à droite ou
à gaucfae; aujourd'hui il semble qu'il refuse de
marcher*. Néannwins, je ne crois pas qu'on
puisse ni qu'on veuille s'en défaire. — La pre-
mière raison, c'est qu'il est employé depuis vingt-
trois ans ; or quand une habitude est déjii vieille
d'un quart de siècle, elle est puissante. — En
outre, l'opinion libérale, on, du moins, l'opinion
^ Dans la dernière élection des conseils généraux, deux
électeurs sur trois n'ont pu TOté.
—Google
8 DU SUFFRAGE UMVERSEL
populaire est pour lui ; c'est pourquoi beaucoup
<le gens qui ne l'aiment guère consenliroot à le
garder pour ne pas retirer au gouvernement nou -
veau les sympathies de la multitude. —Une troi-
sième raison plus forte, c'est qu'il parait con-
forme à l'équité. Que je porte une blouse ou un
habit, que je sois capitaliste ou manœuvre, per-
sonne n'a droit de disposer, sans mon consente-
ment, de mon argent ou de ma vie. Pour que cinq
cents personnes réunies dans une salle puissent
justement taxer mon bien, ou m'envoyer à la
frontière, il faut que, tacilement ou expressé-
ment, je les y aulorise; or la façon la plus na-
turelle de les autoriser est deles élire. Il est donc
raisonnable qu'un paysan, un ouvrier, vote tont
comme un bouigeois ou un noble ; il a beau être
ignorant, lourd, mal informé; sa petite épargne,
sa vie sont à lui et non à d'autres ; on lui fait
tort quand on les emploie, sans le consulter, de
près ou de loin, sur cet emploi.
Admettons-nous ce principe? — En ce cas, nous
- devons Fajqiliquer loyalement et de bonne foi. Si
le contribuable est consulté, qu'il soit consulté ef-
«ibf Google
ET DE U MANIÈRE DE VOTER. 9
fectivement et non pas seulement en apparence.
Si nous l'appelons à voter, Taisons la loi de telle
sorte que son bulletin ne soit pas un simple mor-
ceau de papier noirci qu'on lui met dans la main
et qu'il glisse dans une boite, mats un acte de ,
confiance, une marque de préférence, une œuvre
de volonté, un véritable choix. Ne lui donnons pas
un droit de suffrage illusoire. Accommodons la
loi h son état d'esprit, à son degré d'intelligence ;
nous ne la faisons pas pour l'homme en soi,
pour le ciloyen idéal, pour le Français de l'an
2000, mais pour le Français de 1871, pour lo
paysan, l'ouvrier, le bourgeois de nos villages et
de nos villes, pour l'homme en blouse, en vareuse
ou en redingote, que nous voyons tous les jouis
dans nos champs et dans nos rues. Il faut qu'elle
soit proportionnée, adaptée à cet homme ; sinon
elle sera une tromperie, une loi malhonnête, et
il n'y a rien de pis que la malhonnêteté de la
loi.
'.i,,Goo^lc
Cela suffit pour rejeter d'abord le scrutin de
liste. D'ailleurs il est à peine besoin de te com-
battre ; tous les gens réfléchis sont d'accord pour
le traiter de jonglerie. Il semble qu'il ait été in-
venté pour contraindra l'électeur à choisir des
hommes qu'il ne connaît pas, à voter au hasard,
en atei^le. — Vous lui ordonnez de nommer
huit, dix, quinze, et jusqu'à quarante-trois dépu-
tés à la fois. A peine s'il en connaît de nom deux
ou trois; encore faut-il pour cela qu'il soit un
homme instruit, éclairé. S'il est un paysan, un
ouvrier, même un petit boutiquier de village, un
artisan maître, tes chances sont nombreuses
«ibf Google
DU SDFFUGE UHIVEHSEL, ETC. It
pour que tous ces noms lui soient étrangers. —
Aikoetlons qu'il s'iuforme. Quelqu'un lui répond
que telle liste est la bonne; sur cette réponse, il
vole, et, plus souvent, il ne vote pas, il se méfie.
Car à quoi Imn voter pour huit inconnus plutôt
que pour huit autres, et qui lui dit que, des deux
bulletins-glisses dans sa poche, le bon n'est pas
celui qu'il y a laissé ? — Vous voulez l'arracher à
ses préférences locales, k ses intérêts de clocher?
Fort bien, mais void un moyen encore plus effi-
cace ; délivrez-le aussi de ses préférences dépar-
tementales. C'est trop peu de lui faire nommer
les huit, dis, vingt ou quarante-trois députés de
son département; qu'il nomme tous ceux de ta
France, sept cent ctnquaate. De cette façon son
choix sera pur de toute pensée égoïste. En outre,
il aura la satisfaction et la gloire de se voir re-
présenté, non par un petit groupe de députés,
mais par l'Assemblée nationale tout entière.
D'ailleurs l'opération sera facile : deux ou trois
conciliabules parisiens fabriqueront d'avance
les deux ou trois listes nécessaires ; elles parti-
ront par la poste, et les électeurs des départe-
dbfGooglc
12 Dtl SUFFRAGE UfllVERSEL, ETC.
ments n'auront d'autre peineque d'en mettre une
dans l'urne. Ils sauront que l'une est rouge,
l'autre blanche, l'autre entre les deux ; je recom-
manderais même aux entrepreneurs électoraux
de fabriquer des papiers de ces trois couleurs ;
alors ils seraient parlants; l'électeur n'aurait
besoin que d'avoir des yeux, et un ehien savant
pourrait presque voter à sa place. — Pour moi,
j'ose croire qu'un paysan, un ouvrier, n'est pas
un chien savant, mais un homme, que, s'il vote,
il doit faire œuvre d'homme, c'est-à-dire juger
son candidat, el il me suffit de relire les circu-
laires de H. Ledru-RoUin en 1848, de M. Gam-
betta en 1871, pour reconnaître dans les inven-
teurs du scrutin de liste des dictateurs déguisés
en libéraux, persuadés que leur volonté privée
vaut mieux que la volonté publique, qui, en fei-
gnant de nous consulter, nous dictent noire ré-
ponse, et se font nos maîtres sous prétexte d'être
nos serviteurs.
«ibf Google
11 faut donc que l'électeur nomme un seul àè-
putéetne soit pas obligé d'en nommer une bande.
— Comment faire poui- qu'alors son vote ne soit
pas|seulement ta remise d'un bulletin, mais le
choix d'un individu, une préférence motivée, dé-
cidée, personnelle? — En ce sujet, la plupart des
gens qui lâchent de bien raisonner habitent de
grandes villes ; ils apportent involontairement
dans leur examen des habitudes de citadins ; ils
oublient que la France ne se compose pas seule-
ment de grandes cilés, mais surtout de hameaux,
villages, bourgs et petites villes'. 13,200,000 per-
' Statitlique de ta France, résultats généraux du dé-
"—.Google
U DU SUFFRAGE UNIVERSEL
sonnes habitent des communes au-dessous de
1,000 âmes; 15,500,000 personnes liahitent des
communcsde 1 ,000 à 5,000 âmes; sur 58 millions
de Français, en voilà prèsde 29 millions qui vivent
à la campagne ou dans de très-petits centres. —
le lecteur a-t-il voyagé à pied en France? a-t-il
fait séjour dans divers villages, bourgades et pe-
tites villes? a-t-il l'habitude, quand il est à la
campagne, de causer familièrement avec les vil-
lageois? — D'après les dernières statistiques, sur
dix millions d'électeurs, on compte environ cinq
millions de cultivaleurs, petits propriétaires, fer-
miers, journaliers et autres personnes travaillant
à la terre, deux millions d'ouvriers proprement
dits, un million et demi de boutiquiers, artisans
maîtres, petits entrepreneurs etaulres personnes
appartenant à la demi-boui^eoisie, un million et
demi de rentiers, hommes attachés aux profes-
sions libérales, gros industriels et négociants,
personnes de la classe éclairée et supérieure.
nombrement de 1866, publiés en i869. Tous ces cbiflres
qui suivent sont lires de ce docoment officiel.
«ibf Google
f.1 DE Ll ItISIËR£ DE VOTER. 15
Voilà fes gens qui vont voter : sur 20 votants, 10
paysans, 4 ouvriers, 5 demi-boorgeois, 3 hommefi
cultivés, aisés ou riches. Or la loi. électorale,
cooime toute loi, doit avoir égard à la majorité,
aux quatorze premiers. Par conséquent, rassem-
blons nos souvenirs et rappelons toute noire ex-
périence pour nous ligurer le moins inexactement
po^ible ces quatorze premiers, leur état d'esprit,
le nombre de leurs idées, les limites et la portée
de leur inlelligcnce. De cela dépendra le reste.
II faut donc voir les hommes d'aussi près que
ptffisible, et pour cela faire encore un pas. Nous
parlions tout à l'heure de cinq millions de culti-
vateurs; mais la population rurale' estbien plus
nombreuse. Elle comprend 70 pour 100 de la
population totale, quatorze électeurs sur vingt.
En effet, outre les cultivateurs, il faut ranger
parmi les paysans tous cèui qui en ont les mœurs,
les idées, les habitudes, tous ceux dont l'horizon,
comme celui du cultivateur, ne s'étend guère au
■ Ob appelle ainsi la populatitui des comnmnes qui ont
nins de 2,000 âmes.
c..,Googlc
16 DU SUFFRAGE UHIVBKSBL
delà du clocher de la paroisse, c'est-à-dire un
nombre énorme d'ouvriers fileurs, carriers, mi-
neurs, dont la manufacture n'est pas dans une
ville, un nombre très-considérable de débitants
el pelils artisans maîtres, charrons, charpen-
tiers, menuisiers, épiciers, marcliands de vin
qu'on trouve dans chaque village, un nombre
presque aussi grand d'ouvriers de campagne,
charretiers, manœuvres, sabotiers, forestiers,
compagnons, qui, vivant aux champs, ont h peu
près le degré de culture de leur voisin qui fauche
ou laboure. — Or, en France, sur cent personnes
du sexe masculin, il y en a trente- neuf illettrées,
c'est-Ji-dire ne sachant pas lire ou nesfichant pas
écrire. Comme ces illettrés appartiennent pres-
que tous à la population rurale, cela fait dans
cette population 59 illettrés sur 70. Ainsi, l'on ne
se trompe pas de beaucoup si l'on estime à 7 sur
14, à la moitié du total le nombre des électeurs
ruraux qui n'ont pas les premiers rudiments de
l'instruction la plus élémentaire. Voilà déjà un
indice d'après lequel on peut apprécier leur in-
telligence politique.
«ibf Google
ET DE U HANIËRE BE VOTER. 17
Il m'est souvent arrivé de causer avec eux
sur les affaires publiques. A quinze lieues de
Paris, tel, cultivateur et petit propriétaire, ne
savait pas ce que c'est que le budget^ quand
je lui disais que l'argent versé chez le percep-
teur entre dans une caisse à Paris pour payer
l'armée, les juges et lé reste, qu'on tient regis-
tre de toutes les recettes et dépenses, il ouvrait
de grands yeux; il avait l'air de faire une dé-
couTerte. — Après les premiers emprunts du
second empire, un fermier normand disait à un
de mes amis, orléaniste : « Ce n'est pas votre
goeux de Louis-Philippe qui nous aurait donné
de la rente à 67 francs. » — Après la guerre de
1858, en Italie, un paysan des environs do Paris
approuvait l'expédition, et, pour toute raison, di-
sait: «Oui, oui.on a bien fait de montrer que les
Français sont encore des hommes, n — Après le
coup d'Ëtat, des cultivateurs me répétaient dans
les Ardennes : « Louis-Napoléon est très-riche,
c'est lui qui va payer le gouvernement ; il n'y
aura plus d'impôts. » — Aux environs de Tours,
l'année dernière, des villageois voulaient passer»
c..,Googlc
t» DU SUFFRAGE VHIVERSEL
sans payer, sur les ponts à péage et monfeercn
première classe su pris des troisièmes. « Puis-
que nous sommes en république, nous avons le
droit de faire ce qui nous plaît; il n'y aura plus
de gendarmes. » — Je viens de lire la correspon-
dance de vingt-cinq à trente préfets de 1814 à
1830; l'ignorance et la crédulité des populations
rurales sont étonnantes. Au moment de l'expé-,
dition d'Iilspagne, des maires viennent demander
au prélcldu Loiret s'il est vrai que les alliés vont
traverser le pays pour aller en Espagne et laisser
en France une nouvelle armée .d'occupation.
Pendant plusieurs années, dans plusieurs dépar-
tements, au mois de mars, on croit fermement
que Napoléon arrive à Brest avec 4UO,000 Améri-
cains, ou à Toulon avec 400,000 Turcs. — Ka
maint endroit vous trouveriez encore des villa-
geois qui se défient obstinément des nobles et
les soupçonnent de vouloir rétablir les droits féo-
daux; l'assassinat de H. de Moneyis et quantité
de paroles prononcées l'an dernier dans les cam-
pagnes ont prouvé que, dans beaucoup de cer-
veaux, il n'y a guère plus de lumières en 1870
dbfGooglc
El DE LA HANIËKE DE VOTER. 19
qu'en 1815. — J'ai enlre les mains un paquet de
Lettres et suppliques écrites au préfet, à l'ingé-
nieur, aus principaux administrateurs d'un dé-
parlement de l'Est par de petits propriétaires de
campagne, par des pompiers, par des boutiquiers
de village : on n'imagine pas un pareil état d'es-
prit, uq tel ahuriss^ent, une si grande difUculté
à penser et à raisonner, un vide si parfait de no-
tions générales, une telle incapacité à compren-
dre les droits des particuliers ou les intéi"éts du
public.
Ce sont encore des sujets, non plus sous un
roi, mais sous un maître anonyme. Ils savent
qu'il y a quelque part, bien loin, une grande
chose puissante, le gouvernement, et qu'il faut
lui obéir, parce qu'elle est puissante ; autrement
gare l'amende, les gendarmes et la prison ! Sans
doute, elle est utile, puisque les gendarmes arrê-
tent les malfaiteurs, el que les cantonniers bou-
chent les trous des routes. Mais surtout et avant
tout elle est redoutable ; les petits sont sous sa
main toujours et en cent façons, par le percep-
teur, par le maire, par l'agent voyer, par le sous-
c..,Googlc
90 DD SCFFEUGK DMTEKSBL
inspecteur des forêts, par le commissaire de po-
lice, par le garde champêtre, par les commis des
droits réunis, pour percer une porte, abattre un.
arbre, bâtir un hangar, ouvrir une échoppe,
transporter une pièce de vin. Qu'une loi soit pro*
mulguée, qu'un arrêté soit rendu, qu'un fonc-
tionnaire soit remplacé, l'auteur est toujours cet
être abstrait, indéterminé, lointain,dontilsn'ont
aucune idée nette, le gouvernement. — « On or-
donne ceci. On ordonne cela.» — Cet on si vague
est leur vrai souverain; ils le subissent ou l'ac-
ceptent comme le froid en hiver ou le chaud en
été, comme un je ne sais quoi fatal, supérieur, éta-
bli de temps immémorial et sur lequel ils n'ont
pas de prise. Renversé, rétabli, remplacé, renou-
velé, p^ leur importe ; pour eux il est toujours à
peu près le même. Le maire sait qu'à la ville,
dansun bel appartement, est un monsieur digne,
en habit brodé, qui le reçoit deux on trds fois
par an, lui parle avecautoritéetcondescendance,
et souvent lui fait des questions embarrassantes.
Mais, quand ce monsieur s'en va , il y en a un autre
à sa place, tout pareil, avec le même habit, et le
«ibf Google
ET DE LA HANlfiRS DE VUTEB. SI
maire, de retour au logis, dit avec satisfaction :
s Monsieur le préret m'a toujours conservé sa
bienveillance, quoiqu'on l'ait déjà changé plu-
sieurs fois. »
c..,Googlc
Tel est l'état d'esprit et, par suite, l'aptitude
politique de quatone électeurs sur vingt. — Je
sens combien cette esquisse est insufTisaule. Pour
en faire un portrait, il faudrait écrire un volume
et avoir le talent d'un romancier philosophe, ce-
lui de H. Flaubert dans Madame Bovary; on y
trouvera le tableau de deux villages normands.
Si nous avions cinq ou six ouvrages pareils sur
d'autres provinces de la France, il suffirait d'y
renvoyer le lecteur. — En attendant, je le prie
de compléter par ses propres remarques les indi-
cations précédentes et de se demander quel mode
de suffrage est h la portée des hommes qu'on
«ibf Google
DU SDCFRAGE DNIVEItSEL, ETC. 'i3
vient dedécrire. — II est tropclair <[u'ici le plébis*
cite, l'appel au peuple, l'invitation à voler sur
la forme du gouveniement n'est qu'un tour de
passe-passe, une pure duperie. Autant vaudrait
demander à nos villageois s'ils sont vfighs ou
tories, s'ils préfèrent la constitution de Rome à
celle d'Athènes. En cela, le scrutin de liste dn la
démocratie autoritaire et tes plébiscites de l'em-
pire sont des escamotages légaux de même es-
pèce, tons les deux également fondés sur le res-
pect apparent et sur le mépris réel de la volonté
.publique. En effet, l'électeur , même un peu
éclairé, à plus forte raison l'électeur ignorant,
est vis-à-vis de son mandataire, comme vis-à-vis
de son médecin ou de son avoué. Tout son office
est de décider en quel homme spécial il a le plus
de confiance ; l'un lui fera ses lois, comme les
autres gouverneront sa santé ou son procès. Son
droites! de pouvoir opter pour celui qu'il croit
le plus capable et le plus honnête, et le devoir
du législateur est de lui en fournir les moyens,
c'est-à-dire de lui permettre de choisir entre les
individus que personnellement il connaît ou sur
c..,Googlc
U DU SUFFRAGE DSITEKSEL
lesquels il a des renseignements de première
main, semblables k ceux d'après lesquels il s'a-
dresse à tel avoué ou médecin plutôt qu'à tel
autre. — Or, même dans le mode d'élection qui
paraH le [Jus naturel, c'est-à-dire quand cha-
que arrondissement nomme un seul député,
peut-on dire que l'électeur, tel que nons l'avons
décrit, connaisse les candidats, ait une préférence
véritable et fasse un choii¥ — Supposez une
assemblée de cinq cents représentants : de l'avis
de tous les bons jugea, il ne faut pas qu'elle soit
plus nombreuse ; sinon elle n'est qu'une foule.
Cela fait 1 député pour 20,000 électeurs, et pour
un district d'environ 100,000 âmes. Or un dis-
trict de cette étendue est le quart d'un déparle-
ment et comprend un peu plus de 1,000 kilo-
mètres carrés, c'est-à-dire un carré de 8 à 9
lieues de cAlè. D'après les dernières statistiques,
il contient en moyenne 53 communes au-dessous
de 500 Ames, 23 communes de 500 à 1 ,000 âmes,
1 7 bourgs et petites villes de 1 ,000 k 5,000 ftmes,
une ville moyenne ou grande au-dessus deS,0<)0
Ames.UainlenanI je le demande aux lecteura qui
«ibf Google
ET DE U HANI&ItE DB VOTER. , ' 3S
ont vécuen province : sur les 20,000 électeurs
du district, combien y en a-t-il qui aient une
opinion personnelle, ou du moins une opinion
à peu près foadée, sur les trois ou quatre can-
didats qui se disputent leurs suffrages? combien
y en a>t-il qui leur aient parlé, qui les aient vus
deux fois, qui sachent d'eux autre chose que la
couleur du paletot et de la voiture, dans les-
quels ils ont fait leur tournée électorale? —
Un villageois français vit dans un cercle de deux
lieues de rayon ; son horizon ne s'étend pas au
delà. 11 sait ce qui se passe dans les trois ou
quatre villages environnants, et quelque chose
des bruits qui courent dans la petite ville où il
porte ses denrées ; mats il ne sait pas autre chose.
Toute la journée il est aux champs, et le travail
agricole cloue la pensée de l'homme à la terre.
Il songe à ta. récolte, aux chances de la pluie et
àa froid, à l'engrais, au prix du grain ; quand le
soir U rentre assis sar son cheval, les jambes
pendantes, Un'ya guère que des images et point
d'idées daas sa lète. Le dimanche, il but, il ou-
blie, fie l«n en loin il devise avec ses voisins qui
c..,Googlc
». . DD SDFFK&GB UNIVERSEL
ont juste le même degré d'information que lui.
S'il apprend quelque nouvelle, c'est le samedi au
marché de la petite ville ; au retour, sur sa char*
rette, il la rumine ; mais, à son insu, sa cervelle
inculte la transforme en une légende ou en un
fabliau. Dans la semaine, on voit sur la route vide
le colporteur qui passe, le fadeur rural, l'épicier,
qui va renouveler ses provisions ; ce sont là ses
auteurs, ses messagers d'information. Très-peu
lisent le Moviteur des communes, afiiclié à la
mairie; il faut quelque guerre, un grand danger,
le récit d'une bataille, pour en attroupercinq ou
six alentour. En ce cas , on les voit bouche
béante, autour du lecleor qui épelle et ânonne,
avaler, sans les digérer, les phrases emphati-
ques, abstraites, disproportionnées, dont un ré-
dacteur parisien les fournît. A présent, quelques-
uns rapportent le samedi le Petit Journal^ mais
la plupart s'en défient, comme de tout autre im-
primé. A leurs yeux, les écritures, gazettes, pro-
clamations, prospectus, sont des « mécaniques
' d'enjAleurs, s tout comme le papier timbré de
l'huissier ou l'avertissement du percepteur, ar-
«ibf Google
ET DE LA HiNIÉRE DE VOTER. 37
rangées exprès pour extraire l'argent des po-
ches. Hs sont sur teursgardes; ils ont élé tant 4e
fois trompés I — Dans leur esprit soupçonneux,
précautionnë, toujours en éveil contre les arti-
(ices de la parole, il y a quelque chose du fellah,
de l'ancien taillable, du pauvre homme opprimé
qui, au siècle dernier, par crainte du collecteur,
. se donnait exprès l'air misérable, laissait sa ma-
sure en ruines, cachait ses provisions dans un
silo, el couvait anxieusement le petit pot enfoui
où ses pièces do doute sous venaient une à une
faire un tas. Quoique enrichi et propriétaire, le
campagnard est toujours le tîls de ce vieux cor-
véable. 11 croit difficilement à la bienveillance,
aux services gratuits d'un homme d'une autre
classe; dans un village de l'Est, où les habitants
vivent de pommes de terre, j'ai vu un manufac-
turier bienfaisant vendre, au prix coûtant, pen-
dant une année de diselte, du riz qu'il faisait ve-
nir exprès d'Amérique ; les paysans lui disaient
en achetant: « Dame, monsieur, nous aimons
autant vous faire gagner qu'un autre. » — lis
vivent entre eux; pir rapportaux autres classes.
cjbïGoogIc
S8 . DU SUFFRAGE UNIVERSEL
ils sont isolés.' Nous n'avons pas de vie publique
çn France ; sauf le ridicule comice agricole qu'a
décrit H. Flaubert*, le paysan, le bourgeois, le
noble, chacun reste chez soi, et ne communique
qu'avec ses pareils ; nous ne savons pas nous as-
socier et nous rassembler par des sociétés de
chant, de lir de pigeons, comme en Belgique et
en Suisse, par des manifestations, des meetings,
des ligues politiques, économiques ou morales,
comme en Amérique et en Angleterre. — D'ail-
leurs entre le paysan, parent de la glèbe, marié
â la terre, et l'homme cultivé, la distance est si
grande, qu'elle fait presque un abîme. Dans un
village, à douze lieues de Paris, ils demandent
au principal propriétaire, commenl il peut per-
dre tout son temps à lire. It faudrait un George
Sand pour traduire nos idées dans leur langue.
Idées et tangue, rien ne nous est commun; nos
phrases générales, notre littérature de citadins
n'entrent pas dans leurs têtes ; elles restentarré-
tées au seuit, sans pouvoir fi^nchir no grand
' Notez que rinstilulion est excellmté, car elle est la
seule qui mette les diverses classes en contact mutuel.
c..,Googlc-
ET DE Li U.USIËRE DE VOTER. 30
vide que rien n'a encore comblé ; nous n'avons
pas, comme en Angleterre ou en Allemagne, la
poésie populaire' et le protestantisme pour ser-
vir de pont. — Par toutes ces causes, le cercle
où se meut l'esprit du villageois est d'une étroi-
tesse extrême. Non-seulement l'idée des intérêts
généraux lui manque, mais encore il n'a ni ren-
seignements, ni opinion sur les hommes qui vi-
vent au delà du son horizon restreint.
• ' Schiller, Gcethe, Bums, la Bible en langue vulgaire,
• le Prayer Book.
dbfGoogli
En efict, supposez qu'on l'appelle 5 voleir, lui
et les vingt mille électeurs de l'arrondissement,
pour élire un député, et prenons le cas le plus
ordinaire. Les candidats sont un grand proprié-
taire du pays, peut-être un ingénieur en chef,
un président ou un procureur général, plus sou-
vent quelque grand manuracturter ou commer-
çant, parfois un notaire ou un médecin, de loin
en loin un publiciste de Paris ou le rédacteur en
chef d'un journal du département. Sans doute,
on les connaît au chof-lieu ; mais combien d'élec-
teurs savent leur nom ou quelque cliose d'eux en
dcliors de leur nom, dans les 55 communes au-
jlzMbyGOOglC
DU SUFFRAGE UNIÏEEISEL, ETC. 3t
dessous de 500 âmes, dans les 25 eoianmiies de
500 à 1,000 âmes, miïme dans 17 bourgs cl pe-
tites villes de 1,000 a 5,000 âmes? A peino un
sur dix au d^là de la banlieue 'de la ville ; à peine
un sor quatre ou cinq dans tout l'arrondisse-
ment. — Le villageois apprend pour la première
fois le nom du journaliste de Paris ; il n'a jamais
lu un article du journaliste départemental; il a
vu peut être deux fois dans sa vie l'ingénieur cji
tournée, et aperça ime fois au comice agricole la
vcsiti de chasse du grand propriétaire. It n'a ja-
mais eu affaire avec le grand manufacturier ou
commerçjint ; quant au notaire, au médecin, au
procureur général, au président, ils sont pour
lui des personnages vagues. N'allant point au
chef-lieu, il n'a d'informations que sur les gens
de sa commune ou de son canton, sur son juge
de paix, sur son agent voyer, sur le médecin ou
le notaire de village auxquels en cas uigcnt il
s'adresse. Il est trop ignorant, trop isolj, trop
peu répandu; il a trop peu le désir, et ii a eu
trop rarement l'oixasion de se répandre. — Les
correspondances ailminislratives dont je parlais
c..,Googlc
K DU SUFFRAGE CHITERSEL
tout à l'heure répètent à maintes reprises que ja-
mais, sauf dans les grandes secousses, le cam-
pagnard ne s'occupe de politique ; en effet , depuis
quatre-vingts ans, 'l'administration s'en occupe
pour lui et l'en décharge. 11 n'a donc qu'une res-
source, c'est de s'enquérir et de consulter son
voisin. — Mais, en France, l'esprit égalilaire est
tout- puissant, et la hiérarchie manque; c'est
pourquoi l'inférieur n'a pas de confiance en son
supérieur, ni l'ouvrier en son maître, ni le petit
fermier en son propriétaire, ni l'homme qui
porte une hlouse en l'homme qui porte «ne re-
dingote. Presque jamais il ne va prendre conseil
auprès d'eux ; ce sont des bourgeois. Je pourrais
même citer des arrondissements où il suffit que
les gros fermiers, les propriétaires adoptent un
nom pour que les journaliers adoptent l'au-
Ire. — Règle générale : le villageois ne reçoit
conseil que de ses égaux ; il ne parle volontiers
d'affaires publiques qu'avec les gens de la même
condition et du même habit, qui trinquent avec
lui et parlent son langage. Même dans les dépal*-
tements très-dévots, dans le Nord, par exemple,
cjbïGoogIc
ET DE LA UANlÈflB De VOTER, 33
les curés n'agissent sur lui qu'à travers sa femme.
— 11 est donc fort embarrassé ; car son conseil-
ler n'en sait pas plus que lui-même. — là-des-
sus, dans les deui ou trob élections qui ont pré-
cédé la chute du second empire, nous avons eu
par les enquêtes des révélations étranges. Un té-
moin disait: «J'avais les deux billets dans ma
poche; mais, ma foi 1 bonnet blanc, blanc bonnet,
c'était pour moi la même chose, et j'ai pris lé
premier venu. » — Un autre, à peu de distance
de Paris, répondait à un de mes amis : « Je ne
connaissais ni l'un ni l'autre ; alors, des deux,
j'ai pris le bulletin qui m'atlait le mieux à l'œil. »
C'était la forme des lettres qui l'avait décidé ;
quant au nom qu'il avait préféré, il ne se le rap-
pelait plus, mais il savait encore l'autre, parce'
qu'il avait gardé le bulletin dans sa poche. — Un
troisième veut savoir quel est le bon bulletin ;
on le lui dit, il va lemettre dans l'urne; le lende-
main, on lui demande ce qu'il a fait de l'autre:
«Oh ! je l'ai donné à Pierre, qui est un mauvais
gars; il avoté avec, c'est bien fait, il le mérite.»
— Naturellement, -sur des gens si peu éclairt%.
,-....,Googk'
U . DU SUFFRAGE UHITERSEL
si mat informés, si incapables d'avoir une préfé-
rence vérilable, les mauvais moyens ont tout leur
effet. — Nous savons tous comment les élections
se sont faites pendant vingt ans. Le gouvernement
lâchait sur l'électeur toute la troupe de ses fonc-
tionnaires, maires, juges de pais, et jusqu'aux
gardes champêtres, aux cantonniers, aux fac-
teurs ruraux; les gens allaient à l'urne pous-
sés comme des moulons, d'autant plus qu'on
leur montrait là toute la pâture qu'ils pouvaient
souhaiter: subventions à l'église, établissement
d'un pont, d'un embranchement de chemin de
fer, etc. Bn outre, le candidat riche payait un ba-
vard déclassé, un orateur de cabaret dans cha-
que commune ; celui-là faisait boire et racolait
des votes, à grands coups d'éloquence appropriée.
Aussi l'élection coûtait 10,000 francs au candidat,
souvent 50,000, 40,000 et jusqu'à 100,000 ; les
rastek, les mâts de Cocagne pavoises, les fêtes et
tombolas dans an parc, les fournitures d'un
équipement neuf et d'une musique aux pompiers
sont choses trés-dispendieuses ; mais ce charla-
tanisme grossier est efficace. — De ce genre est
«ibf Google
ET DE LA V&niËRE DE VOTER. 3S
aajonrd'bui la propagande des radicaux. Un dë-
damateurà tête chaude, quelque sournoisà6gure
de fouine (j'en ai vu) vient de la ville et leur jure
qu'il est du peuple, que tout sera pour te peuple,
qu'il n'y aura plus de mailres, que tous les im<
p6ts seront payés par les riches, etc. Le pauvre
Prévost-Paradol, avant de partir pour l'Amérique,
écrivait à un ami que, pour devenir député en
France, il fallait être un homme du gouvernement
ou posséder uue terre de quarante mille livres
de rente, ou descendre jusqu'aux déclamations
et aux afiiliations démagogiques. — Ainsi mené,
assourdi, séduit, le campagnard, comme un che-
val surmené, finit par prendre le mors entre ses
dents et reste immobile ; habitué, comme il l'est,
à juger des choses par leurs elTels utiles, à se dé-
fier de la prévoyance humaine, à subir la do-
mination des grandes forces aveugles qui nour<
rissent ou tuent sa récolte, il arrive à considérer
ceux qui l'invitentà choisir son gouvernement du
même œil que ceux qui lui proposeraient de régler
les saisons une fois pour toutes. Probablement, il
se dit à lui-même quand, n'ayant point d'avis
cjbïGoogic
56 DD SUFFRAGE CKHEBSEL
sur les gens, il essaye, par hasard, d'avoir un
avis sur les choses ; — « L'Empire, c'était bieii ;
a nous vendions nos denrées deux fois plus cher ;
R et, pendant vingt ans, les partageux n'ont pas
« osé souffler. Mais ce n'était pas son oncle ; il a
« bien mal fait la guerre, il a mis les Prussiens
« chez nous ; nous voilà ruinés par sa faute ; et
« puis il est dehors et on dit qu'il est ramolli. —
R Les Orléans, c'était bien aussi ; ils n'étaient pas
« méchants, et on a eu h paix ; mais les bour^
« geois étaient maîtres, et on leur donnait toutes
.a les places. — Henri V, c'est un roi pour les cu-
a rés et les seigneurs. Les nobles se sont bien
a battus l'an dei-nier ; mais s'ils veulent ravoir
a les droilsféodauxetfairela guerre pour le pape?
H — La république ! on nous promet tout, c'est
« peut-être trop. Je prendrais de bon cœur ma
« part du gros domaine qui est là-bns ; mais, si
« on partage aussi mon champ, gagnerai-je au
« change ? D'ailleurs cela ferait bien du désordre,
a et, parmi les rouges qui nousprôchent aucaba-
u ret, il y a trop de fainéants, de propres à rien,
a sauf à crier et à boire, j'ai payé les 45 centimes
jlzMbyGOOgIC
ET DE U MANiÈnE DE VOTER. ST
« h la république de 1848; j'ai bien peur de
« payer beaucoup à celle-ci ', -pourtant, en ce mo-
• meiit, elle ressemble aux anciens gouveme-
« ments ; elle n'est pas trop mauvaise. » — Tel
est, je crois, son idée secrète, ou, plus exacte-
ment, son instinct. Au fond, si l'on parvenait i
exprimer les répugnances vagues et les velléités
informes qui flottent dans son esprit trouble, je
suis persuadé que le gouvernement de son choix
serait « le gouvernement des gendarmes, » i une
seule condition, c'est que les gendarmes fussent
braves gens et pas trop durs au pauvre monde. ,
En fait de régime, il accepte celui qui existe, et
notamment la république présente, non par
amour, mais par crainte de pis; voilà son poids
dans labalancepolitique.MaiSg^ion lui demande
de voler, de choisir entre des candidats qu'il ne
connaît pas, il se détie ; il est averti par son expé-
rience; il se souvient des calamités récentes aux-
quelles a conduit son vote ; il aime mieux ne pas
s'engager, il refuse de se déranger. — C'est ce
qui vient d'arriver aux élections, et il est à crain-
dre que le dégoût électoral ne se propage. U est
c..,Googk-
38 DU SUFFRAGE UKIïERSEL, ETC.
possible que le suffrage direct en France abou-
tisse dans deux ans à des urnes aux trois quarts
vides. L'étecleur ne voudra plus tourner la ma-
chine, et sa raison sécrète sera qu'après dix épreu-
ves il en a trouvé la poignée trop haute et trop
lourde pour sa main.
dbfGooglc
Si, monamiiil faut voter; autrement les casse-
cou et les drôles feront marther à leur profit et
i tes dépens la machine dont le jeu emporte
toute ton épargne et toute ta vie. Seulement c'est
à tes législateurs d'adapter la poignée à ta main.
La machine et la poignée ne sont précieuses que
par leurs' effets ; tu n'es pas fait pour elles, elles
doivent être faites pour toi. Il ne s'agit pas ici de
l'enlever ton droit, mais de te fournir les moyens
de l'eiercer. On ne veut pas le traiter en dupe,
encore bieu moins en brute , mais en homme.
On te demande de déposa dans l'urne, au lieu
d'un bulletin indifférent que tu ne comprends
c..,Googk-
40 DU SUFFRAGE UNIVERSEL
pas, un bulletin préféré que tu comprends. — Ce
n'est pas le suffrage universel qui aujourd'hui
est chez nous impuissant et malfaisant, c'est le
suffrage direct. Car, si le cercle du département
ou même celui de l'arrondissement est trop large
pour l'électeur rural, il en est un autre plus étroit,
plus proportionné, où son intelligence et son in-
formation peuvent agir avec discernement et cer-
titude, je veux dire la commune. — Que dans ce
cercle restreint il choisisse trois ou quatre hom-
mes connus de lui elles envoie au chef-lieu d'ar-
rondissement; que 'ces électeurs du second -de-
gré, une fois réunis, lui nomment son député.
Par ce moyen, le premier moteur de la machine
est toujours entre ses mains ; c'est encore lui qui
donne le branle. Seulement, au Ijeu de le donner
en aveugle, il le donne en homme clairvoyant,
et, s'il veut, il le dirige. On ne relire pas la poi-
gnée de sa main; au contraire, on la met à sa
portée en y soudant une seconde pièce que son
))ras peut atteindre, et par laquelle tout le mou-
vement de la machine lui appartient.
Je dis qu'en ce cas son choix sera véritable,
dbfGqogle
ET DE U UANISRE DE VOTER. 41
accompagné de discernement. — Une première
preuve est frappante, c'est la composition des
conseils municipaux. De l'aveu detous les obser-
vateurs, danslcs villages, dans les bourgs, dans les
petites villes, et même dans les villes moyennes,
ils sont aussi bons qu'ils peuvent l'être, recrutés
presque toujours parmi les hommes les plus
sensés, les plus intelligents, les plus probes. Les
choses ne se passent autrement que dans quel-
ques très-grandes villes ; c'est justement parce
qu'une très-grande ville est une foule, où l'on se
coudoie sans se connatlre, et où les trois quarts
des votants n'ont pas d'avis fondé sur les candi-
dats. — Mais ailleurs, dans les cercles petits ou
moyens, c'est-à-dire dans presque toute la France,
un aventurier, un faiseur, un homme de réputa-
tion douteuse, un simple bavard, arrive rarement
au conseil municipal ; il est vérifié, pesé par toutes
les mains ; on conteste son atoi, on trouve son
poids trop léger. Ce cultivateur, ce villageois, si
peu renseigné quand il s'agit de personnages
lointains et d'affaires générales, est très-bien in-
formé quand il s'agit de ses voisins et des inté-
c..,Googic
12 m SUFFRAGE UNIVERSEL
rôls locaux. En tout ceci, il est curieux, avise;
son attention, faute de s'étendre sur tout le grand
cercle, s'est appliquée plus forte sur le petit ; les
causeries de la veillée, les disettes ont fait leur
office. — n n'y a pasun ménage, une fortune, une
conduite dans ta paroisse qu'il n'ait percée à jour;
car il a du bon sens, il est souvent fin, il a eu le
temps et tes moyens de se faire une opinion ; il a
vu à l'oeuvre te juge de paix, le médecin, leDo-
taire, lecuré, le maire, le gros fermier, l'usinier,
le propriétaire ; il sait si le curé est ambitieux
et tracassier, si le juge ^e paix décide en homme
juste, si le médecin exploite trop ses clients, si le
maire prend à cœur les intérêts de la commune,
si le manufacturier est dur, si le propriétaire ou
le fermier soDt gens laborieux et entendus, si tel
ou tel est un bomme capable, actif, sâr en af-
faires. Bien mieux, il connaît le plus souvent les
familles, la parenté, les tenants et aboutissants, et
c'est là-dessus qu'il juge. On ne l'en fera pas dé-
mordre par des raisonnements, encore moiiis par
degrandes pbrases. 11 a vu et pratiqué l'homme,
cela lui suffît, et il a raison. Voilà pourquoi il
dbfGooi^i
ET DE Li UiNlfiRE DB VOTBR. 43
veut que son candidat soit du pays, et que, pen-
dant de longues années, il ait fourni matière à
l'observation de ses VMsins ; en cela, il a raison
encore. Qu'il soit défiant, et parfois envieux, qu'il
ne choisisse pas toujours l'homme instruit, ren-
fermé, dépourvu de biens au soleil, je l'accorde.
Mais, avec un tel procédé d'enquête, s'il omet par-
lois d'élire un candidat de mérite, il n'élit pres-
que jamais un homme taré, ou dévie scandaleuse,
un malhonnête homme, un simple déclamateur,
ni surtout un de ces candidats inconnus qui,
comme des champignons, surgissent en un ma-
tin sur une terre pourrie. — Même examen et
même triage dansles petites villes: un aubergiste,
un petit débitant, un maitre menuisier savent
jusque dans le moindre détail la position, la vie,
le caractère de tous les hommes de leur classe et
de tous les bourgeois : c'est que pendant quinze
ans, chaque soir, ils les ont passés au crible. —
Ainsi, pour quatorze, et peut-être pour dix-sept
électeurs sur vingt, autant l'information est pau-
vre, inexacte ou nulle, quand, par le sutTrage
universel direct, ils nomment le député de l'ar-
c..,Googlc
U m SUFFRAGE ONIVERSEL. £TG.
rondissement, autant l'information est riche,
exacte et sûre quand, par le suffrage universel
indirect, ils nommeront les électeurs du second
degré chaînés d'aller choisir ce député au chef-
lieu. — A mon sens, cette raison est décisi¥e,car
elle met tout ensemble la lumière dans l'élection
et la loyauté dans la loi.
«ibf Google
VII
Supposez donc que le législateur leur dise :
« Je vous dois une loi juste, et vous n'êtes pas
« traités selon la justice, lorsque, appelés à don-
« ner votre confiance, vous êtes forcés de choisir
* entre des' gens que vous ne connaissez pas. A.
« présent, tous les connaîtrez, et vous ne don-
« nerez votre confiance qu'avec certitude. Désor-
a mais , dans chaque commune, cent électeurs
« du premier degré nommeront un électeur du
« second degré. Je ne limite pas votre choii ;
« quel que soit votre élu, riche, pauvre, noble,
n bourgeois, ouvrier, paysan, celavousregarde.
« Je n'exige de lui aucune preuve ui degré de for-
c..,Googic
46 DU SCFPRAGE UNIVERSEL
« tune OU d'éducation ; je n'exclus que les faillis
« et les genscondamnës par les tribunaux ; àvous
a de choisir, où vous le trouverez, l'hoomie le
plus honnête, le vùeax infuné, le plus capa-
« ble. Voilà pour les campagnes, les bourgs et,
a les petites villes. — Pour les villes moyennes et
« grandes, chaque quartier nommera ses élec-
« teurs, de la même façon qu'une commune or-
« dinaire. — Tous ces électeurs élus se Irouve-
a ront, à un jour marqué, au chef-lieu d'arrnn-
« dissement. Là, pendant trois jours, au nombre
« d'environ deux cents, ils causeront entre eux
« et avec leurs amis, ils s'assembleront plusieurs
a fois dans une grande salle pour écouter les
€ candidats et les interroger. Le troisième jour,
« ils nommeront le dèpulé, et reviendront, cha-
« cun dans sa commune, pour vous dire, à l'a-
« miable, les raisons deleur choix. ■ — Y a-t<il,
là-dedans, un privilège pour une classe? Hais
un duc académicien y est traité sur le même
pied qu'un manœuvre, et l'envie égalitaire la
plus aigre n'y peut trouver une faveur pour per-
sonne. — Quelqu'un pourra-t-il soupçonner une
cjbf Google
ET DE LA MANIÈRE DE VOTER. f7
pareille loi d'être hostile au peuple, etarrangée
en défiance du grand nombre 7 Mais c'est juste-
ment pour le peuple, pour le grand nombre
qu'elle est laite, et ceux qui la décrient, au nom
de ce qu'ils nomment emphatiquement les prin-
cipes, prouvent par cela même qu'ils sacrifient
le peuple vivant, les travailleurs, les pauvres, à
une théorie usée, à une phrase de livre, à un pur
jeu de logique et d'abstractions.
En effet, suivons les conséquences. Ce suf-
frage à deux degrés est si bien conforme h la na-
ture des choses qu'en fait 11 eiiste aujourd'hui
chez nous ; sans lui, le suffrage direct, tel que
nous l'avons depuis vingt ans, ne fonctionnerait ■
pas.— Car d'abordl'électeur rural, et, en général,
l'électeur ordinaire, a suivi pendant tout l'em-
pire l'impulsion du sous-préfet et du maire;
ainsi, c'est le sous-préfet, le maire et surtout
l'empereur qui, sous l'empire, ont été effective-
ment les électeurs du second degré. Toutes les
fois que le gouvernement interviendra par une
candidature officielle ou par une préférence
avouée, il en sera de même. Aussi bien des élec-
c..,Googlc
4S DU SUFFR&GB UNIVERSEL
teurs du second degré sont tellement nécessaires
qu'aujourd'hui, dans les campagnes, nombre de
gens se plaignent, disant que, puisque le gouver*
nement ne leur indique plus le bon candidat,
ils ne savent pour qui voter.. Mais à présent nous
répugnons tous à celte usurpation du gouverne-
ment ; il n'est pas un libéral qui n'aspire à s'en
passer et ne loue H. Thiers qui s'en abstient.
Voilà donc la direction oflicielle tout à fait mise
à l'écart. .— A sa place que resle-t-il? Je connais
à quelques lieues de Paris une commune où, au
mois de juillet dernier, l'élection s*est faite à
quatre degrés. Vingt journalistes de Paris, réunis
en comité, avaient dressé la liste de l'Union de
la presse parisienne ; un habitant de la commune
alla chercher les bulletins de cette liste et la Ct
adopter au maire, aux membres du conseil mu-
nicipal, aux plus anciens du village assemblés un
soir chez lui ; ceux-ci ta distribuèrent aux autres
électeurs; et sur 146 votants la liste eut 130 voix;
il y eut donc là trois sortes d'intermédiaires et
quatre degrés de suffrage bien comptés. Qu'on le
sache ou qu'on l'ignore, qu'on s'en réjouisse ou
dbf Google
ET DE LÀ HANIËKE DE VOTtH. «t
qu'on s'w irrite, il y en a toujours au moins deux.
— Seulement^ quanti ils ne sont point établis par
la loi, quand les habitants ne sont pas appelés
publiquement à faire un choix exprès , l'é-
lecteur du second degré est de mauvaise espèce.
— TantAI il est l'agent éleclorat d'un candidat
riche qui loi donne de l'argent pour faire boire :
en ce cas c'est un homme acheté, sans conscience,
une créature qui se remue pour gagner quelques
écus ou obtenir une place, et qui travaille par des
intrigues de clocher ou des excitations de caba-
ret. — Tantôt il est expédié par un club de la ville,
comité anonyme où des têtes chaudes, des esprits
gâtés par une demi-culture, des rêveurs à prin-
cipes, dfes avocats et des médecins sans clientèle,
uoe foule de brouillons et de déclassés, se ven-
gent de leur avorlement irreoiédiable en rebâtis-
sant la société sur le papier ; en ce cas, c'est un
po/ifician de bas étage qui, de village en village,
vient attiser ia guerre sociale et racoler des voix
pour leRobespierrefulurdu chef-lieu. — L'élection
faite, le premier rentre chez lui et le second re-
tourne k la ville; le tour est joué, aucun n'est
c..,Googic
50 DU SDFFRACE UNIVERSEL
l'esponsnble. Tout s'est passé en conciliabules, en
buvetles, sous le manteau de la cheminée ; ils
n'étaient point des mandataires, ilsj'n'ont point
de compte à rendre. — Voilà comment, sous le
suffrage direct, les choses se passent, et c'est mer-
veille qu'à travers des intermédiaires si trou»- '
peurs, le bon sens public aboutisse encore â des
choix passables ou à peu près bous.
Au contraire, admettons que la loi nous ap-
pelle à choisir nous-mêmea ces, intermédiaires.
— Tout est public; le grandjour luit sur l'élection
et sur les candidats, l'électeur n'est plus livré
aux insinuations, au charlatanisme; le futur dé-,
puté n'a plus besoin de parader dans la rue, avec
une voiture pavoisée ; l'émissaire de la ville n'est
pas reçu â décrier ou exalter tel ou tel de la
commune. Ces mauvais moyens, eiUcaces quand
l'électeur doit opter entre deux inconnus, sont
faibles, quand tl doit choisir entre des hommes
de sa paroisse. Il n'a rien à apprendre des cour-
tiers d'élection ; il en sait plus qu'eux, et son
opinion, fondée sur son expérience personnelle,
est tenace. 11 juge donc par lui-même, et choisit
«ibf Google
ET DE LA HANltRB DE VOTER. SI
ses électeurs du second degré en connaissance
de cause, à peu près comme son conseil munici*
pal.
Quels "seront-Us î — Très-probabïement les
mêmes on presque les mêmes que les membres
du conseil municipal, c'est-à-dire des gens choi-
sis entre les plus capables, les plus honnêtes et
les plus anciens delà commune. — Je dis les mê-
mes ou presque les mêmes ; car il semble que le
mandat, étant diitérent, introduira dans les choix
quelque difïérence. Il est à croire que, dans les
villages, les boui^s et même dans les petites vil-
les, les électeurs auront un peu moins égard à
l'ancienneté de ta résidence, h la possession de
biens au soleil, et un peu plus égard à l'éduca-
tion, à l'habitude de fréquenter le chef-lieu et la
capitale, à tous les indices d'après lesquels ils
reconnaissent dans un homme une instruction
plus variée, une plus grande aptitude politique,
et la possession d'un horizon plus étendu. —
Dans le village, dont je pariais tout à l'heure,
l'habitant qui a fait adopter la liste de l'Union
parisienne n'était établi que depuis un an ; on
cjbïGoogIc
SI . DU SUFFMGt: UNIVËRSIO.
ne l'eût pas nommé au conseil municipal. Mais:
il était le seul qui allât fréquemment à Paris; lui
seul avait un avis motivé et pouvait fournir des
rens^lBements précis sur les candidats de la
liste ; à cause de cela, et d'un consentement una-
nime, il a fait l'office d'électeur du second de-
gré. — Je pense donc que le groupe des électeurs
ainsi élus pourra différer du conseil munidpal
par le nom de quelques membres ; qu'on y verra
en moins deux ou trois fermiers et vieui habi-
tants, en plus deux ou trois hommes de la classe
caltivée, un juge de paix, un notaire, un méde-
cin; dans plusieurs villages de Bretagne, le curé;
çà et là le maître d'école, souvent le propriétaire
riche, qui réside plusieurs mois, ou quelque ca-
pitaine reti-aité ; dans les villes petite et moyen-
nes, outre les fabricants, les commerçantsel les
, rentiers , un banquier, un ingénieur, un prési-
dent du tribunal, un publiciste estimé, bref une
proportion aussi grande de probité et de bon
seiis,et une proportion plus grande d'information
et d'intelligence. — Conduisons ces élus au chef-
lieu d'arrondissement; ils y retrouvent ceux du
„Goo.i;lc
ET DE LA. MANIÈRE DE VOTER. G3
chef-lieu lui-même. Non-seulement, tous ensem-
ble, ils sont l'élite du district, et les plus capables
de bien choisir, mais encore, n'étant que deux
cents, ils peuvent raisonner par groupes, s'éclai-
rer les uns les autres. En outre, ils font une as-
semblée naturelle. — Dès lors, ce n'est plus par
des professions de foi affichées, chefs-d'œuvre
d'emphase et de vague, que les candidats doivent
s'expliquer; ils sont tenus de comparaître en
perstmne, de parler eux-mêmes, de quitter les
lieux communs, d£ répondre à des interrogations
précises, d'engager d'avance leur opinion sur des
mesures prochaines, sur des lois' imminentes.
La parole est bien moins menteuse que l'écri-
ture ; car alors on voit l'homme, on écoute son
accent, on devine d'instinct s'il est hÂblenr, on
n'a pas de peine à savoir s'il est ignorant ou
borné. Devant une pareille assemblée Men des
candidats officiels de l'empire auraient bfdbutié
ou succombé. — Mais le plus grand des avanta-
ges, c'est que voilà un meeting tout fait, une vé-
ritable réunion politique h l'anglaise ou à l'amé-
ricaine, grave, modérée, ayant un but déterminé.
c..,Googlc
54 DU SUFFBAUE UNIVEnSEL
peu dis^é k soutTiir les déclamations de carre-
four, c'est-à-dire une école de poliUque sérieuse,
de discussion libre, d'informations mutuelles et'
d'esprit public. Toutceta nous manque en France
et celte lacune est encore plus grave que celle de
l'instruction primaire ; car, s'il est mauvais que
dans la maison paternelle Tenfant ne sacbe pas
lire, il est pire que dans la vie publique l'adulte
ne sache pas raisonner. — Grâce au sufTrage à
deux degrés, les électeurs élus font leur appren-
tissage, et certainement il n'y en aura pas un qui
quitte le cbef-lieu sans en rapporter une provi-
sion plus grosse d'idées et de faits.
11 revient donc dans sa commune, et la, dans
les conversations, en s'cxpliquant sur le compte .
des candidats entre lesquels il a choisi, il com-
munique aux gens quelque chose de ce qu'il
vient d'apprendre.— Notez qu'il est tenu de s'ex-
pliquer et même d'agir conformément à ses ex-
plications. En efiet, ici la corruption, telle qu'on
l'a reprochée aux électeurs de la monarchie de
Juillet, n'est guère à craindre. Le nôtre n'est pas
comme eux un électeur né, un mandataire par
,,i„Googlc
ET DE LiL HAKIËKE l)li VOTER. ih
droit de fortune, irresponsalile ; autour de lui se
trouvent ceux qui l'ont choisi. Les villageois, tes
habitants des boui^s et des petites villes sont ja-
loux, Irès-éveillés sur les profits de leurs voisins ;
sans nul doute, si le vote de l'électeur élu lui at-
tire quelque faveur , si le gouvernement , par
l'eRtremise du député, lui donne , pour lui ou
pour les siens, quelque place, on le saura ; tout
se sait en province-, l'envie y va jusqu'à la ca-
lomnie. 11 est donc forcé d'être intègre; sinon,
à l'élection suivante , on ne le chargera plus
d'aller choisir le député. — Grâce à cette âpre sur-
veillance et à cette répression infaillible, il est
probable que les électeurs élus feront honnête-
ment leur office, et qu'en outre, dans tous les
entretiens privés, dans une quantité de conféren-
ces demi-publiques, ils devront donner les rai-
sons de leur vote, faire la biographie du candi-
dat, raconter ses réponses, rappeler ses promes-
ses, résumer de leur mieux la discussion. Dés
ors nous pouvons, sans trop tle témérité, prévoir
sur toute la surface du pays une multitude de
conversations et presque d'enseignements poli-
jiiMbïGoo^lc
56 DU SUFFRAGE UNfTERSEL
tiques. Il peut se faire que, dans le grand eanui
de la vie de province, les questions ainsi présen-
tées attirent et occupent ce nombre infini d'es-
prits qui parcourent le cercle vide du commérage.
On aura ainsi organisé la vie politique par la
hiériirchie locale, légale, naturelle et spontanée
des informatio'ns et des intelligences, et l'on aura
les avantages des clubs sans en avoir les incoo-
vénients. — Songeons-y bien: le suffrage uni-
versel et direct, tel que nous l'avons, est une ar-
mée de pionniers, dans laquelle on ne trouva
encore que des manœuvres et des ingénieurs en
chef. Tout le corps intermédiaire manque, con*
ducteurs, piqueurs, sergents d'escouade. Le ma-
nœuvre est trop loin de ses chefs, il ne les coa-
naît pas, il marche en aveugle, avec ses pareils,
en troupeau, lorsqu'il est poussé. 11 n'agit pas de
cœur et de volonté, il n'a pas de confjance. Pour
qu'il ait conAance, laissons-lui désigner ses sous-
ofSciers, son petit état-major secondaire et local.
Ces sous-ofRciers sont à sa portée, il les montre
du doigt. Une fois qu'il les aura adoptés, il les
suivra, et la cohue, qui se précipite, se disperse
„Goo.i;k'
ET DE U HAHlfiKB DE VOTER. S7
ou' s'arrête à la moindre alarme, deviendra un
corps ialelligent, qui marche en bon ordre vers
un but qu'il se propose et qu'il atteint.
cjbïGoogIc
VIII
Le mode de siiflrage à deux degrés qu'on vient
de décrire n'est pas le seul applicable ; je l'ai
suivi en détail, pour faire toucher au doigt des
conséquences précises. Mais il en est d'autres,
notamment celui qui ne ferait point élire h part
les électeurs du second degré, et donnerait cet
emploi aux membres du conseil municipal qui
auraient réuni le plus de voix. — Sur tout cela,
la discussion décidera ; l'essentiel, c'est que l'é-
lection du député se fasse à deux degrés. Ainsi se
fera chez nous l'éducation politique de la foule
et le contre-coup n'en sera pas mauvais sur l'As-
semblée des représentants. Toujours, dans une
«ibf Google
DU SUFnUGB UNIVERSEL, ETC. 59
démocratie , le suiTrage h deux degrés choisit
mieux que le suffrage direct. Là-dessus l'exemple
des Ëtats-Unis est décisif, et H. de Tocqueville
l'invoque à notre appui. Il oppose la Chambre
des représentants, composée d'inconnus et d'in-
trigants,au Sénat,Gomposé d'hommes supérieurs
et illustres. 11 remarque que cette Chambre des
représentants est produite par l'élection directe
et ce Sénat par l'élection à deux degrés. C'est par
cette différence de leurs sources qu'il explique
l'inégalité de leurs mérites. Cest parce que les
sénateurs sont nommés par les législatures de ■
chaque État , qu'ils sont des personnages émi-
nenls. Si l'envie démocratique et les manœuvres
àespolitiàans sont puissantes sur des assemblées
primaires et sur des convCTifioTispopulaires, elles
se trouvent faibles sur une assemblée restreinte
et occupée d'affaires ; le mérite a tous ses droits
devant elle ; elle aurait honte d'écarter les talents;
la vérilé et l'équité, étouffées ailleurs, font enSn
entendre leur voix. « 11 sufSt, dit encore Tocque-
« ville, que ta volonté populaire passe à travers
« une assemblée choisie, pour s'y élaborer en
DgiiicibfGoogle
GO DU SUPFIUGG VRITBBSBL, ETC.
m quelque sorte et en sortir revêtue de formés
« plus nobles et plus belles. Les hommes ainsi
« élus représentent toujours exactement la raa-
« joritë de la nation qili gouverne; mais ils ne
« représentent que les pensées élevées qui ont
« cours au milieu d'elle, les instincts généreux
n qui l'animent, et non les petites passions, qui
« souvent l'agitent et les vices qui la déshono-
o rent.... Je ne ferai pas difficulté de l'avouer;
« je vois dans le double degré électoral le seul
« moyeit de mettre l'usage de la liberté politique
. « à la portée de toutes les classes du peuple. Ceux
o qui espèrent faire de ce moyen l'arme ex-
« clusive d'un parti , et ceux qui le craignent ,
a me paraissent tomber dans une égale erreur*. »
* TocqupTille, de la Démocratie en Amérique^ II, 52.
5 décembre 1871,
,„Coo,>îlc
NOTE
On n'a indiqué ici que l'idée générale de la ré
fonne ; c'est qu'on n'avait point la prétention de ré-
diger une loi.
Il est un autre principe, dont on a évité de parler,
pour ne point compliquer la question, celui qui pro-
pose la représentation de* minorités. Le lecteur le
trouvera expliqué dans un ouvrage récent, de M. Er-
nest Naville'. Tel que M. Naviile le présente, il ne
semble pas approprié à la majorité des électeurs
français. Mais on pourrait l'employer en partie, et
notamment pour te choix des électeurs du second
degré,' soit que le conseil municipal les fournisse,
soit qu'on les nomme à part.
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es NOTE.
Contre le suffrage universel à deux degrés, je n'aî
recueilli que deux objections :
1" ( Les gazettes radicales diront au peuple qu'on
lui vole son droit. » — Si elles le disent, ce sera
faui ; car la loi dont il s'agit ne confère de privilège
i aucune classe et n'est faite que dansTintérét du plus
grand nombre.
2° I Les ouvriers des grandes villes seront mécon-
tents. » — S'ils le sont, cela sera fâcheux, mais, à
moins que le gouvemeraentne se sente très-faible, il
n'importe; car ils ne sont qu'une minorité, environ
un contre neuf, et n'ont pas le droit d'imposer leurs
préférences aux neuf autres.
jiic^dbfGoogle
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